Discours d'Edouard Philippe au Congrès annuel des experts-comptables

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié 12/10/2018

Discours de M. Édouard Philippe, Premier ministre
Congrès annuel des experts-comptables
Clermont-Ferrand
Vendredi 12 octobre 2018
Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires et élus,
Monsieur le président, cher Charles-René TANDÉ,
Monsieur le président, cher Jean BOUQUOT,
Madame la présidente de l’ordre de l’Auvergne,
Mesdames et messieurs,
« Dure limite ». Rien à voir avec un titre de Jean-Louis Aubert que vous auriez entendu hier. Je parle de cette dure limite temporelle qui borne l’agenda d’un premier ministre et qui l’empêche d’assister à un concert de Jean-Louis Aubert. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Et à ceux qui s’étonneraient de la présence de Jean-Louis Aubert au Congrès des experts-comptables – il y en a, je ne comprends pas pourquoi –, je rappellerai que le grand Mick Jagger lui-même avait commencé des études de comptabilité avant de se tourner vers la musique ce qui ne lui a pas si mal réussi. Et quelque chose me dit que les compétences techniques qu’il a acquises ne lui ont pas été totalement inutiles. Preuve supplémentaire que l’expertise comptable mène à tout et se trouve au centre de tout. En particulier au centre des rouages de la vie économique et sociale de notre pays.
Une vie économique et sociale qui a connu de profondes transformations. Ce n’est pas encore totalement « un autre monde » pour filer la métaphore, mais ce n’est pas non plus « juste une illusion ». Promis, j’arrête là… et ça, c’est vraiment moi !
L’année dernière, dès notre arrivée, nous avons lancé « l’acte I » de ces transformations.
C’est l’adoption des ordonnances « Travail » qui ont apporté de la souplesse, de la prévisibilité, en particulier grâce à l’introduction d’un barème de dommages et intérêts pour les licenciements injustifiés. Des ordonnances qui ont aussi développé le dialogue social dans les TPE et les PME, pour négocier des règles qui prennent mieux en compte les attentes des salariés comme les besoins des entreprises.
Cet acte I, c’est également la refonte de la fiscalité sur le capital pour réveiller l’argent qui dort et mieux mobiliser notre épargne vers l’investissement, vers les actions d’entreprises et vers l’innovation.
L’acte II a quant à lui déjà bien commencé, en particulier depuis que l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi PACTE :
Un texte que nous avons largement co-construit avec les professionnels, pour lever, les uns après les autres, les freins à la croissance de nos entreprises. Et pour leur donner aussi les moyens de se financer plus facilement et de se projeter à l’export.
L’idée, c’est de sortir notre pays d’un paradoxe. Celui qui veut que la France enregistre un record de créations d’entreprises. Plus de 590 000 entreprises durant l’année 2017. Mais ces entreprises demeurent, par rapport à celles de nos partenaires, souvent trop petites et pas assez exportatrices.
Je prends juste un exemple, évidemment significatif, de mesures qui illustrent l’état d’esprit du projet de loi. Celui des seuils d’effectifs.
Vous connaissez le constat : bien souvent, des chefs d’entreprise s’arrêtent à 9, 19 ou 49 salariés pour ne pas franchir un seuil et supporter les obligations qui s’y appliquent. À chaque fois, c’est 1, 2, 3 emplois qui ne sont pas créés alors que pourtant, le besoin est là, dans ce gisement prometteur des petites et moyennes entreprises.
Nous voulons supprimer cette barrière psychologique. D’abord en supprimant le seuil de 20 salariés et les obligations qui en découlent. Ensuite, en apportant un peu de souplesse dans l’application des obligations des autres seuils. Ainsi, nous maintiendrons les seuils de 11 et de 50 salariés, mais les entreprises devront les avoir franchis durant 5 années consécutives avant d’en acquitter les obligations.
Autre transformation importante, celle qui vise à apaiser, à pacifier les relations entre l’administration et l’usager. C’est l’objet de la loi pour un Etat au service d’une société de confiance dont vous connaissez mieux quiconque les implications :
C’est l’extension du rescrit, c’est la garantie qu’un point qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal ne puisse pas être remis en cause par la suite, c’est l’expérimentation de la coordination des contrôles que des administrations différentes lancent sur une même entreprise. La région Auvergne-Rhône-Alpes est d’ailleurs concernée par cette expérimentation avec la région des Hauts-de-France.
Bref, c’est une société dans laquelle la confiance n’exclut certes pas le contrôle, mais où ces contrôles s’exercent dans leur juste mesure, avec respect et dans le cadre d’une relation plus sereine.
Enfin dernière grande transformation : la maîtrise de nos finances publiques. Les critiques « critiquent », les opposants « s’opposent ». C’est à la fois naturel et sain, mais les faits sont les faits.
Pour la première fois depuis dix ans, la France est sortie cette année de la procédure pour déficit excessif ;
Et jamais la hausse de la dépense publique n’a été aussi faible qu’en 2018. Un effort que nous maintiendrons en 2019.
Ces transformations vous concernent au premier chef. Soit parce qu’elles touchent directement votre profession, soit parce que vous allez être appelés à accompagner les chefs d’entreprise dans leur mise en œuvre.
Vous assumez une position centrale dans la vie des entreprises, encore plus centrale pour les TPE et PME. Et ce n’est pas nouveau. Ceux qui aiment l’histoire, et c’est mon cas, savent que votre profession a connu son essor durant la Renaissance italienne, au moment où les marchands vénitiens sont partis à la conquête du monde. Et que le premier « ouvrage » ou « manuel » de comptabilité, que l’on doit à un moine franciscain du nom de Luca Pacioli, date de la fin du 15è siècle. Vos missions ont probablement un peu changé, mais l’essentiel reste : elles sont constitutives de l’acte de produire et de commercer.
Des missions, que le projet de loi PACTE, va simplifier et enrichir :
En introduisant la notion de mandat implicite des experts-comptables vis-à-vis de l’administration fiscale et des organismes sociaux. Un mandat qui va vous donner le droit d’agir pour le compte de vos clients sans produire de nouveaux documents ;
En autorisant les experts-comptables à payer des dettes et à effectuer une relance amiable auprès des débiteurs de leurs clients ;
Autre enrichissement, vous l’avez évoqué, Monsieur le président : l’introduction d’une rémunération au succès dans le cadre de véritables missions de conseils. Des missions que vous assumez déjà et qui se développent dans des domaines comme l’export ou la préparation d’offres pour des marchés publics.
Un autre exemple : la reconnaissance du statut d’experts-comptables en entreprise. Désormais, ceux-ci pourront adhérer s’ils le souhaitent, à l’ordre des diplômés d’expertise-comptable, ce qui présente deux avantages. D’abord, votre profession va gagner en nombre et en visibilité. Et puis, cette reconnaissance facilitera les passerelles entre exercices indépendant et salarié. Cette mesure, le Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables, la souhaitait. Elle sera bientôt une réalité.
Par ailleurs, vous allez, en lien étroit avec les représentants de votre profession, réorganiser votre réseau territorial pour l’adapter à la nouvelle carte des régions. D’autres ordres professionnels ayant des circonscriptions régionales sont passés par là. La mise en adéquation de votre réseau avec celui des régions est une nécessité.
Enfin, ces missions, vous les faites évoluer vous-mêmes :
Je pense aux travaux que vous avez engagés au sein du Conseil supérieur de l’ordre pour développer la facturation électronique de vos clients. Une facturation qui se traduira par d’importants gains d’efficacité et de simplicité.
Ce projet contribuera en outre à la transition numérique des TPE-PME qui, comme vous le savez, doit s’accélérer en France. Nous comptons sur vous pour nous aider à diffuser auprès de vos clients l’offre d’appui à la transition numérique des TPE-PME que le Gouvernement prépare avec les régions.
Le projet de loi PACTE concerne également la profession de commissaires aux comptes.
Vous le savez, le projet de loi PACTE relève les seuils de certification légale des comptes pour les aligner sur les standards de référence européens. C’est conforme à nos engagements de simplification et de réduction des sur-transpositions de directives européennes. Et c’est cohérent avec notre volonté d’alléger des obligations qui pèsent sur les petites entreprises.
Mais il convient de préciser une chose : les entreprises qui sont en-dessous des nouveaux seuils et qui veulent faire certifier leurs comptes, pourront toujours le faire. Simplement, ce ne sera plus une obligation.
Je l’ai dit : c’est un choix. Le choix de privilégier la simplicité, la compétitivité sur la sur-transposition de normes européennes. Ce choix, nous l’assumons, ce qui n’interdit pas de l’expliquer et de l’accompagner. À cet égard, je voudrais saluer la responsabilité et la courtoisie des échanges que vous avez eus, Monsieur le président avec Bruno Le Maire et Nicole Belloubet. Une courtoisie qui ne vous a pas interdit de faire preuve de franchise et qui ne vous a pas empêché de défendre vos positions.
Et grâce à la qualité de ces échanges, grâce aussi au travail de la commission qu’a présidée M. Patrick de Cambourg, nous avons pu compléter cette évolution avec des mesures d’accompagnement. Car nous mesurons bien l’effort d’adaptation que la réforme demande aux commissaires aux comptes. Je pense notamment :
À la possibilité pour les CAC de proposer un audit légal des comptes, adapté et simplifié aux petites entreprises ;
A la faculté de délivrer des attestations dans une logique de diversification de leurs missions et de rôle de tiers de confiance.
Une logique qui s’inscrit bien dans le droit fil de leur mission.
Dernière chose : nous allons également mettre en place une passerelle qui facilitera l’exercice de la profession d’expert-comptable pour les CAC qui ne sont pas titulaires du diplôme et qui, pour autant, disposent de l’expérience nécessaire pour exercer ce métier.
Je voudrais terminer en évoquant avec vous deux grandes réformes pour la réussite desquelles, nous aurons besoin de votre expérience et de votre accompagnement.
La première, c’est celle du prélèvement à la source.
C’est évidemment un grand changement, une révolution et je comprends tout à fait les questions que se posent des millions de Français et leurs employeurs. Mais, passée la période de migration d’un système à l’autre, je suis convaincu que très vite, ils en apprécieront les bienfaits. Je pense en particulier aux 6 à 7 millions de foyers qui, chaque année, connaissent des baisses de revenus souvent parce qu’ils traversent une épreuve : la perte d’un conjoint, une séparation, une longue maladie, ou un licenciement. Or dans le système actuel, ceux-ci continuent de payer durant 12 à 18 mois des impôts qui n’ont plus rien à voir avec leurs revenus, ce qui conduit parfois à des situations délicates, nous le savons tous.
Sur le plan opérationnel et à quelques semaines maintenant du basculement, les voyants sont au vert. Nous avons mené des expérimentations durant plus d’un an avec des entreprises volontaires. Des expérimentations auxquelles vous avez été associés. Nous avons également conduit un audit qui a conclu que tout était en ordre.
La réforme se passera bien si nous nous montrons – nous, pouvoirs publics, vous professionnels du chiffre - vigilants. Les grandes entreprises sont déjà prêtes. Les autres vont avoir besoin de vous pour les accompagner durant cette transition.
Certaines petites entreprises recourront au titre « emploi-service », mais la plupart voudront un accompagnement personnalisé, une expertise comme celle que vous proposez. Avec Gérald DARMANIN, nous avons demandé à l’administration fiscale de se mobilier à vos côtés ainsi qu’aux côtés de vos clients. Presque tous les pays du monde ont réussi cette migration. Grâce à nos compétences réunies, nous la réussirons.
La seconde réforme que je veux évoquer avec vous, concerne la diffusion de la participation et de l’intéressement dans les PME.
Je ne vais pas m’étendre sur un constat que vous connaissez bien : la moitié seulement des 9 millions de salariés du secteur marchand, ont accès à un dispositif de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale. C’est un facteur de fidélisation, de motivation, d’harmonie. Mais, en général, les salariés bénéficiaires travaillent dans de grandes entreprises.
En revanche, dans les petites entreprises, celles qui comptent de 10 à 50 salariés, le taux de couverture est d’environ 20%. On se trouve donc en face d’une vraie inégalité. Une inégalité que nous voulons réduire. Et puis nous voulons aussi que le travail paie mieux, en toutes circonstances. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de supprimer le forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés.
Une fois de plus, décider ce n’est pas mettre en œuvre. Nous aurons besoin de vos conseils, de votre expertise auprès des chefs d’entreprise pour diffuser ces outils le plus largement possible dans les PME, sans que cela devienne une source de lourdeurs ou de complexités.
« Voilà, c’est fini». Jean-Louis Aubert a décidément le sens de la formule choc et explicite. Nous sommes donc à Clermont-Ferrand. Ville d’industrie. Ville de rugby. Ville de culture. J’en profite pour saluer une nouvelle fois, l’exceptionnel travail d’Olivier Bianchi pour faire de Clermont la capitale européenne de la culture en 2028.
Et ville aussi de Blaise Pascal à qui l’on doit, entre autres phrases lumineuses, celle-ci : « L’homme est plein de besoins : il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous ». Dès lors, tout s’explique : les professionnels du chiffre remplissent presque tous les besoins, dans tous domaines, pour des centaines de milliers de chefs d’entreprise. C’est pour cela qu’on vous aime. Pour cela, que mon Gouvernement veut s’appuyer sur vous, sur votre métier, sur votre dévouement à vos clients, pour réussir les puissantes transformations que nous avons engagées. Je vous remercie.

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